Qui, franchement… Qui a eu l’idée de me donner un prénom à coucher dehors ? Je n’ai jamais été la risée de mes pairs, mais je dois dire que je posais souvent de sérieux problèmes aux élèves comme aux professeurs. Au début de l’année scolaire, ils s’y prennent toujours deux fois pour relire mon prénom. Et les regards ronds des autres, les chuchotis mais le nom qu’elle a celle là !

Un jour, j’ai eu dix ans. Je n’avais pas encore redoublé, une nouvelle année s’annonçait, tout aussi monotone que les autres. L’école c’était vraiment trop facile, la cour de récré, beaucoup plus sympa. Mon prénom suscitait toujours l’étonnement, mais au final, cela ne posait pas énormément de problème pour qui me connaissait bien. Avec mes copines, on jouait à Buffy contre les Vampires, et bien évidement, j’ai toujours aimé jouer l’espèce de sorcière rousse de la série. Puis juste après les vacances de noël, un nouvel élève s’est pointé dans notre classe. Il venait de New York… Passer de la grosse pomme à un patelin comme le nôtre, c’était grave ! Notre ville ressemble un peu à celle de South Park, d’ailleurs. Un espèce de bouiboui américain de base… Bref !

Et ce type… Ah ce type ! Mes parents lui doivent tout, ce garçon est la base de ce que je suis devenue. Et je peux vous dire que papa maman s’en mordent les doigts !

Pluie. Une. Une. Zéro. Une. Une. Elles s’écrasent toutes sur l’asphalte, et cette odeur humide filtre aux interstices des fenêtres.

« Apnea ! Le cours vient à peine de commencer, c’est par ici que ça se passe ! »

La fillette au regard bleuté, tête blonde tressée, détourne tristement le visage en direction du tableau noir. A quoi bon suivre quelque chose d’aussi simple ? Apnea se prépare physiquement à écouter correctement le cours, le buste bien face à la maîtresse d’école, les chevilles croisées… Facile de faire semblant. Mais quelques coups frappés contre la porte sortent toute la classe de sa torpeur languissante.

« Le nouvel élève est là madame » déclare simplement une de ces dames de la cantine en poussant en avant un jeune garçon. Elle s’éclipse, ferme discrètement la porte et laisse le nouveau à la merci des regards de la classe, et de l’embarras de la maîtresse.

« Bonjour, présentes toi à nous puis on te trouvera une place mon grand ! »

Le jeune garçon serre convulsivement un objet entre ses doigts, il se colle dos au tableau noir et déclame d’une traite, le regard rivé sur un point invisible:

« J’mapelle Logan Nathaniel Harris, mais je préfère qu’on m’appelle Nath parce que j’aime pas Logan. »

« Très bien Logan… »

Froncement de sourcils de Nath. On le conduit rapidement à une place libre, à côté d’Apnea, et la journée reprend son cours… Enfin, pas pour tout le monde.

« Salut Nath. Moi c’est Apnea, et je te préviens tout de suite, pas la peine de copier sur moi… Tous les autres le faisaient avant. »

« Apn… Apnea..? Ca finit par a un peu comme Yoda… Salut. Et j’ai pas b’soin de copier, mon pére m’a dit que mon école est en avance sur la vôtre. Ca va être trop facile… »

« Yoda..? C’est quoi ça, une marque de savonnettes ? »

« Maiiiis non, c’est un personnage ! Regardes ! »

Prennant garde à ne pas se faire voir de la maîtresse, Nathaniel ouvre sa paume sur l’objet qu’il tripotait tout à l’heure. Un petit personnage vert dort dans le creux de sa main, c’est une figurine en plastique flambant neuve.

« C’est quoi ce truc tout moche ? » s’exclame un peu trop fort Apnea, provocant les remontrances de la maîtresse.

Une fois que tout danger professoral est écarté, Nath reprend la parole dans un chuchotis incessant:

« Mais non c’est pas moche, en fait j’t’explique, c’est un film et en fait dedans y’a… »






On est toujours un peu nerveux. On finit toujours par grandir, changer… Et parfois, il y a THE clash.




« APNEA ! Qu’est-ce que tu as foutu a tes cheveux ! APNEA ! » hurle une mère à sa fille, concentrée sur des lignes de code.

« M’man. C’est juste une coloration. Juste de la peinture, si tu vois de quoi je veux parler… »

« Je sais très bien ce que c’est, mais t’as fait ça comment ?! »

« Avec un pinceau, une crème puante et l’aide de Nath. »

Une mère en furie et une jeune fille des plus calmes. Presque absente vis-à-vis de la situation, aucune trace de colère ou d’impatience ne se peint sur le visage d’Apnea. Et là, c’est le clash. Parce que la situation était difficile depuis quelque temps, parce que le fait d’avoir une nolife pour fille, c’est une honte sans fin pour les parents. La vie en elle-même n’a pas été compliquée, ni horrible. Plutôt calme à vrai dire. Mais un simple refus, un simple petit refus peut tout changer… Et c’est à cause de ce refus qu’Apnea à décidé de ne plus obéir aux règles familiales.

« Nath, Nath, toujours ce garçon ! Tu dis que ce n’est qu’un ami, mais pourquoi, bon dieu pourquoi tu fais la gueule depuis qu’on a refusé sa proposition ?! » s’exaspère la mère.

Apnea répond d’un ton froid, monocorde et sans passion. Elle a tellement répété et répété ce discours…

« Je l’ai dit cent fois… Parce que New York c’est la meilleure ville du monde, parce que l’appartement de Nath donne sur l’upper east side, et loin de moi l’idée de faire les boutiques, mais je trouve fascinant d’observer toute la populace friquée de Manhattan. Et je ne te parle pas du matériel high tech de l’appartement, ni du professeur particulier de Nath… »

Sa mère s’apprête à l’interrompre, mais d’un coup, Apnea s’anime et se fait plus virulente.

«  Mon meilleur ami te propose ce qu’il y a de meilleur pour ta fille - en l’occurrence moi - et tu refuses par simple peur de l’inconnu ? Mais maman, tu en as marre de voir la lumière dans ma chambre à toute heure de la nuit, tu en as marre de ne pas me voir sortir comme tout être normalement constitué selon toi, tu en as également marre de m’avoir constamment dans la maison depuis que papa est constamment en voyage d’affaires ! On te file une magnifique occasion de faire un break, trois années à faire ce que tu veux, et tu refuses sans même y réfléchir ? »

« DE TOUTE FACON C’EST NON ! »

Et une porte qui claque une. Apnea fait tourner son fauteuil de cuir vers son bureau, elle chope son cellulaire et compose rapidement un numéro.

« Allo, Nath ? Ouais… Pire qu’une horde de gobelins en furie celle là, elle a réagi exactement comme je l’imaginais… Ouais… Non mais y’a pas de raison ! On continue comme on a dit, tu crois que je vais me priver de ça pour elle..? Ouais… Carrément… Elle sait très bien que je suis en sécurité dans ton appartement, elle sait très bien qu’on ne va pas faire des fêtes tous les quatre vendredi… Ouais elle le sait ça… Mmm. Mouais… Oui voilà, elle fait juste sa nerveuse. Je sais que ça va mal se passer au début, mais quand elle verra qu’elle est tranquille à la baraque, tu verras ! Elle est pas si méchante, juste impulsive. Ouais…. Donc demain à 15h..? T’es malade, je vais avoir cinquante sacs à porter ! J’espère que ma chambre sera grande..! Cya ! »

J’ai vécu mes trois années lycée à New York, avec mon meilleur ami. Entre les LAN, les nuits blanches à farmer telle ou telle instance… C’était magique, je n’ai pas vu le temps passer. La scolarité non plus d’ailleurs… Pourtant on a réussi à s’en sortir, pas de brillantes moyennes, mais juste de quoi passer inaperçu… Un peu plus de dix, un peu moins de quinze… Nous comprenions toujours tout, mais nous étions sans cesse crevé par les nuits de jeu, et autres faits de ce genre… Ca roulait. Jusqu’au vacances d’été, avant de rentrer en fac. La séparation avec Nath, avec qui je vais jouer maintenant ? C’était ça le deal. Trois ans, pas plus. Ensuite nos chemins devaient se séparer, et ils se sont séparés… Rien n’a été comme avant pendant ces vacances. Nath est resté en ligne lui, moi on m’a exilé de force dans un bled encore plus paumé que celui de mon enfance. Pas l’DSL, même pas internet du tout ! Et je parle pas du réseau téléphonique… D’après ma mère, c’est ma punition pour être partie avec Nath sans rien dire. Sauf que papa était au courant lui, comment j’aurais fait mes papiers pour le lycée sans lui..? Ma mère… ma mère qui n’ose pas toucher à un ordinateur car elle a peur qu’il explose, ma mère n’a rien compris. Pendant qu’elle se languissait de l’absence de son mari, moi je discutais avec papa par mail. Sauf que pendant ces vacances d’été, il ne s’est rien passé du tout, j’étais blasée. J’ai lu encore et encore, pour faire passer le temps. Puis au retour à la maison, je n’ai rien dit. On ne m’a rien dit. Deux jours après c’était la rentrée, j’acceptais mon sort sans broncher, je n’avais aucune envie d’entendre maman hurler que le fait que j’étais une fille indigne et patatipatatata… Ma surprise fut grande quand j’arrivais à la Gates School ! La veille j’avais fait mon sac. Ma mère s’était contentée de passer pour me dire de prendre toutes mes affaires. Je dis bien toutes. Elle avait un air bizarre lorsqu’elle m’a conseillé ça. Je me suis méfiée, mais j’ai pris toutes mes affaires, sans savoir ce qui m’attendait. Et je regrette pas !

Apnea observe autour d’elle avec stupéfaction. Les discussions… Les gens…

« Mais c’est génial ici !!! » s’extasie la jeune femme

« Tu l’as dit chérie ! » lui relance un inconnu en passant vers elle.

Apnea découvre son campus, tout sourires, ses valises à la main. Au fil des jours, elle se demande pourquoi sa mère l’a envoyée ici. Mais finalement, l’esprit geek reprend le dessus, et plus rien ne compte, sauf profiter des installations high tech… Un peu nostalgique, Apnea se dit que Nath aurait aimé l’endroit, que sa présence aurait sympa, un vrai délire entre meilleurs amis. Mais il n’est pas là. Sinon ils se seraient déjà rencontrés non ? Depuis quelques jours, Apnea n’entend parler que d’une chose, dans les couloirs, au self… Immortalis. Il paraîtrait que ce sont des élèves qui l’ont conçu. Pas étonnant en même temps… Avec le niveau de Gates School ! C’est le jour de la bêta, tout le monde se presse pour tester. Apnea n’est pas déçue, quelques minutes de jeu suffisent pour qu’elle en tire un avis. C’est vraiment du bon boulot mais… La jeune femme reste fidèle à elle-même, alors que la foule de geeks testent encore le fameux Immortalis, elle retourne dans une salle info plus déserte. Pour se connecter à WoW, dans l’espoir de croiser Nath peut être…