Il y avait cette bande de gazon à l'extrême droite de la cour goudronnée. Et le soleil qui dardait ses rayons sur nous, jouant avec les reflets de nos cheveux et réchauffant nos peaux. L'herbe était encore légèrement humide, il avait plu cette nuit, mais la chaleur aurait tôt fait de faire disparaître les dernières gouttes d'eau. Il était à peine huit heures, la cloche n'avait pas encore sonné, et je me demandais ce que j'avais fait au Bon Dieu pour mériter ça. Laissez moi vous expliquer. Je hais l'économie. Je l'abhorre plus que tout. En quelques semaines de cours, je n'ai encore jamais vu la tête de notre professeur. Jusqu'à ce que j'apprenne que l'homme que j'avais imaginé vieux, rasoir, barbant, et tous les synonymes du même genre, avait en fait trente ans et venait juste de divorcer. Okay, ce n'est pas forcément la meilleure raison d'aller en cours, mais comprenez moi. Tant qu'à aller en cours, en sachant pertinemment que vous vous ferez chier royalement, autant avoir des compensations. On est Beauty, ou on ne l'est pas. Sauf qu'il se trouve qu'aujourd'hui, ce cher trentenaire divorcé a décidé, je ne sais pourquoi, d'être absent ! Non, vous ne rêvez pas. Et moi non plus d'ailleurs. J'avais quand même décidé de faire l'honneur de ma présence dans son cours ! Et autant dire que j'y avais mis les formes. Un jean slim noir moulant parfaitement mes longues jambes galbées, un large T-shirt gris jouant le jeu de la transparence avec ma lingerie noire, et surtout, rouge à lèvres de diablesse et crinière en feu. Mais il semblerait que cela n'a pas suffit à faire venir le mignon. C'est pourquoi je me retrouvais sur la pelouse, à maudire Dieu, le diable et le prof.

Heureusement, j'avais croisé Elle en chemin. Elle et moi, c'était un duo électrique. Anciennes rivales au titre de Reine des Abeilles, nous avions uni nos forces lorsque nous avions dû faire face à l'intrusion de Geeks voyeurs dans l'intimité de nos chambres. Depuis, c'était une complicité à toutes épreuves qui nous liait. Et mieux valait ça qu'autre chose, vu que nous devions partager la même piaule. Au début, personne n'avait cru à ce retournement de situation. « Reste plus proche de tes ennemis que de tes amis » avaient pensé certains. Et pourtant, notre amitié était sincère, et je savais que si je voulais me taper une crise de fou rire ou dévaliser la dernière boutique à la mode, je pouvais compter sur la jeune demoiselle. Je l'avais donc croisé, alors que je me lamentais sur mon sort. Vous ne vous rendez pas compte, évidemment, mais ça prend du temps d'être belle ! Se lever tôt, s'enduire de crèmes aux noms tous plus savants les uns que les autres, tenter de dompter des cheveux indomptables, choisir la tenue qui fera de vous la reine de la journée ... c'est du boulot tout ça ! Et lorsque vos efforts ne se voient pas récompensés ... Vous pouvez toujours compter sur vos amies qui viennent vous remonter le moral, armées de leur plus beau sourire et d'un bon magazine people. Nous nous étions alors installées sur la pelouse, des lunettes mouche sur le nez pour protéger nos yeux du soleil, et le magazine ouvert à la page des dernières tendances. C'est fou ce qu'au final, un magazine de mode ou même de ragot sera toujours plus intéressant qu'un cours d'économie ? Aussi beau le prof soit il ! Car ce n'est que lorsque je l'aurais de mes propres yeux que je pourrais définir si il existe bien sur Terre un homme plus beau que Jude Law. Vous avouerez quand même que Jude Law vaut le détour non ? Si on omet bien sûr ses quelques aventures extra-conjugales, mais que voulez vous, nous ne sommes pas des anges ...

Je continuais de feuilleter le journal, allongée dans l'herbe, tandis qu'Elle me racontait les derniers détails de sa relation passionnante avec le Geek de service, j'ai nommé Caïn Lancaster. Je me demandais parfois ce qu'elle pouvait bien lui trouver. Et je l'enviais aussi, des fois, soyons honnête. Et je me posais la question : Est-ce que les Geeks, ces êtres timides et maladroits, valaient sexuellement le détour ? Okay, j'avais pu en faire l'expérience par moi-même, et le seul cas sur lequel j'étais tombé ne m'avait pas vraiment complètement satisfaite. Autant vous le dire tout de suite, je n'aime pas simuler. Et le pauvre qui pensait sûrement tomber sur une tigresse s'était retrouvée face à un glaçon. Pauvre de lui ... Ou pauvre de moi. Ce jour-là, je n'ai pas vraiment fait honneur aux Beauty ... Shame on me ... Ce qui va suivre s'appelle un élément perturbateur : un article attira soudain mon attention, et je ne pus m'empêcher de m'exclamer, refermant soudain le journal.